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8. Biens collectifs et service public


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8.1 Les défaillances du marché


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8.1.1 Les externalités

Il y a externalité lorsqu’une action de nature économique d’un agent influence le bien-être d’un autre agent sans que cette action passe par un marché. Par exemple, les abeilles de l’apiculteur vont polliniser les fleurs des arbres de l’arboriculteur, ce qui permet aux arbres de fleurir et de faire des fruits, et vont prélever le pollen et le nectar qui leur permettra de faire du miel. L’activité de l’apiculteur agit positivement sur celle de l’arboriculteur et réciproquement sans que cette relation ne passe par un marché.

Il existe un grand nombre d’exemples. Par exemple, la pollution qui va affecter les agents autres que celui qui l’a émise est une externalité négative, les décorations ou l’entretien des maisons pour peu que ceux qui les voient aient le même goût sont des externalités positives. Une autre externalité positive concerne le savoir : si une personne apprend quelque chose dans un certain contexte elle pourra le réutiliser dans un autre. C’est ce qui explique la concentration d’entreprises dans des régions en lien avec des universités. Les travailleurs, étudiants et chercheurs peuvent passer d’une entreprise ou des établissements universitaires à l’autre et exporter leur connaissances.

Une autre externalité positive concerne les biens de club. Ce sont des biens pour lesquels l’utilité de la consommation est d’autant plus élevée que d’autres consomment ce bien, indépendemment de l’effet sur les prix. L’exemple typique est le téléphone, ou encore plus internet. Plus internet est utilisé plus il est intéressant d’avoir internet.

La mauvaise prise en compte de ces effets externes amène à des situations sous optimales. Par exemple, diminuer la pollution rejetée par une entreprise peut coûter moins cher que les dépenses de médecine nécessaires pour soigner les victimes de la pollution. Ou encore négliger les externalités positives peut conduire à une situation de sous production de ces biens. Ainsi les entreprises ne sont pas incitées à former leur personnel si cette formation peut profiter à d’autres.


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8.1.1.1 La correction des externalités

Pour corriger ces sous productions d’externalités positives et ces surproductions d’externalités négatives, un grand nombre de solutions sont possibles. Tout d’abord la réglementation avec recours possible devant les tribunaux peut être utilisée avec des pénalités qui dissuadent la production d’externalités négatives. Des incitations économiques sont également possibles, du type taxe sur les polluants, ou subvention des entreprises formant leur personnel. Ensuite, la négociation directe peut être possible, ou encore le rachat des entreprises polluantes par les entreprises polluées. Enfin, des marchés pour les biens externes peuvent être mis en place afin qu’ils soient appropriés et deviennent des biens classiques.

Toutes ces possibilités sont à priori possibles, il s’agit en fait de trouver celles qui sont le plus efficaces et dont les propriétés redistributives sont préférées. On va essayer de passer en revue ces différentes possibilités, leurs avantages et inconvénients.


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8.1.1.2 La taxe

Une taxe sur les émissions de polluants est payée pour chaque unité de polluant émise. Symétriquement une subvention sur un bien externe positif produit est donné à l’agent pour chaque unité produite. La taxe est intéressante puisqu’elle combine deux effets : elle fait payer les pollueurs, ce qui incite à la sortie de cette branche, et elle favorise les entreprises les plus efficaces, qui veulent aller plus loin dans la dépollution. Par contre elle est difficilement acceptable par les entreprises qui doivent dépolluer et en plus payer.

Dans la pratique, les taxes sont très peu utilisées, et sont en général fixées à des niveaux non incitatifs. Elles sont plutôt là pour récupérer de l’argent mais pas suffisamment élevées pour modifier les comportements. Par exemple les taxes sur l’essence ne sont pas assez élevées pour induire un changements de comportement des automobilistes ou des transporteurs. Un système de taxes couplées à des subventions existe dans le cadre des agences de l’eau en France. Ce système est relativement performant, mais quand même critiquable, car le système de taxe n’incite pas tous les pollueurs à moins polluer : les agriculteurs sont exonérés de taxe et le prix de l’eau ne modifie pas les comportements des ménages. Seules les entreprises sont incitées. C’est donc plutôt un système de prélèvement sur les ménages et de subvention des collectivitées locales et des entreprises pour la dépollution. L’incitation se situe essentiellement au niveau de la subvention.


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8.1.1.3 La réglementation

La réglementation est beaucoup mieux acceptée mais elle a le défaut de ne pas inciter ceux qui veulent faire mieux à le faire. Et elle ne fait pas payer les pollueurs, elle est neutre redistributivement. Par exemple l’essence sans plomb et le pot catalytique sont des réglementations environnementales.

Ces deux solutions, taxes et réglementation impliquent des coûts relatifs à l’établissemement du bon niveau des externalitées, ce qui est une tâche très ardue et incertaine, d’autant plus que les agents ont des informations, sur leur coûts ou leur bénéfices que les régulateurs n’ont pas. Elles imposent également des coûts de contrôle pour vérifier que les réglementations sont suivies ou que les niveaux d’émissions sont bien les niveaux déclarés.


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8.1.1.4 La négociation directe

La négociation directe n’est en général pas possible étant donné la dispersion des victimes ou de ceux à qui profitent des externalités positives. De plus cela revient en général à faire payer les pollués, ce qui donne une rente aux pollueurs et peut inciter des firmes à polluer sachant qu’elles recevront des compensations plus tard pour arrêter. En pratique, il existe un seul exemple de pollution transfrontalière entre une usine finlandaise et une usine russe qui s’est soldé par une négociation.


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8.1.1.5 L’appropriation des biens externes

Enfin, pour corriger les effets externes, il est proposé de créer un marché et des droits de propriété sur ces biens, afin que la régulation se fasse par le biais du marché comme pour un bien quelquonque. Par exemple, pour réduire la pollution il est possible d’avoir un système dans lequel il faut avoir un droit pour émettre une certaine quantité de pollution. C’est le système des permis de polluer. Ce droit est ensuite échangeable, de telle sorte que les entreprises peuvent choisir de dépolluer et vendre des permis ou bien acheter des permis et polluer. De cette façon, la quantité totale de pollution est fixée.

Ce système a un certain nombre d’avantages. Tout d’abord, comme la taxe il incite ceux qui peuvent faire plus à le faire. Ensuite, il est possible de contrôler l’effet redistributif en décidant d’un mode d’allocation des permis. S’ils sont donnés gratuitement, c’est plutôt pollué-payeur, tandis que s’ils sont vendus aux enchères c’est pollueur-payeur. Par contre, les coûts de contrôle sont aussi importants que pour les autres systèmes et il y a en plus un coût correspondant à l’établissement d’un marché et sa régulation. Un exemple existe, il s’agit du marché des permis d’émission de soufre aux Etats-Unis. Ce marché a permis de bonnes performances environnementales, mais les coûts de contrôle et d’établissement du marché sont importants.


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8.1.1.6 Les problèmes environnementaux globaux

En général il faut une autorité qui permet de résoudre ces questions. Cela n’est plus possible quand l’externalité est mondiale. Or, certains problèmes environementaux sont désormais mondiaux. Ces problèmes ont, en plus de la question des externalités 3 dimensions importantes : ce sont des problèmes de long terme, avec de nombreuses incertitudes et des irréversibilitées ou des inerties importantes.

L’appauvrissement de la couche d’ozone, le changement climatique, la protection de la biodiversité entrent dans ce cadre. Pour ce qui concerne la couche d’ozone, un petit nombre d’industries (les réfrigérants et propulseurs) emettent les produits problématiques, des substituts techniques moins polluants existaient et une décision mondiale a pu être prise à temps bien qu’il aurait été moins couteux de considérer le problème plus tôt.

Pour le changement climatique, malgré une prise de conscience importante dès 1992, que les émissions de CO2 provenant de la combustion du pétrole du gaz et du charbon pour le transport, le chauffage et la production d’électricité pouvaient changer à long terme et de façon irréversible le climat, il n’existe de consensus ni sur l’intensité des efforts de réduction d’émissions à fournir, ni sur la façon de les répartir.

En particulier, les Etats-Unis ont considéré que les efforts du protocole de Kyoto étaient trop importants et que les pays du tiers monde n’étaient pas assez contraints et se sont retirés des négociations. Quand à l’Europe, même si elle semble plus concernée, elle a refusé une proposition un compromis avec les Etats Unis et a décidé unilatéralement de faire des efforts moins importants que dans ce compromis, tout en reculant la décision de stopper les subventions aux industries du charbon, pourtant économiquement fondées, avec ou sans changement climatique. Enfin les pays du tiers monde placent leur développement avant tout effort environnemental. Le principe d’un système de permis négociables avait été cependant accepté et les négociations continuent.

La lenteur de ces négociations internationales reflète 3 difficultés :

  1. La réduction des émissions des gaz à effet de serre est un problème épineux puisqu’il n’existe pas de substitut rentable aux combustibles fossiles et que les incitations seraient très mal perçues (augmentation du prix des carburants à 4 euros par exemple pour inciter à ne pas utiliser la voiture ou les camions)
  2. Ensuite les bénéfices sont pour les générations futures.
  3. Enfin chacun a intérêt à ce que les autres fassent les efforts afin que la quantité de gaz à effet de serre diminue, mais à ne pas faire ces efforts soi-même.

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8.1.2 Monopoles naturels

Certains secteurs sont caractérisés par un coût de mise en place des infrastructures très élevé, ce coût diminuant avec la quantité installée, et des coûts de gestion d’autant plus faible que le réseau est structuré. C’est le cas en particulier des infrastructures de télécommunication, de transport d’électricité, de l’organisation des transports aériens, des chemins de fer.

Dans le cas du transport d’électricité ou des chemin de fer, il faut une optimisation globale du transport, en raison de l’impossibilité de stockage. C’est moins vrai dans le cas des télécommunications, étant donné que des techniques d’évitement des congestions décentralisées existent. Les spécificités du type d’infrastructure peuvent renforcer ces spécificités, par exemple, dans le cas des télécommunications, ce sont des biens de club.

Ces contraintes techniques impliquent qu’une unité supplémentaire d’infrastructure coûte d’autant moins cher que le réseau est déjà étendu. Il n’est donc jamais efficace de dupliquer ces infrastructures et la concentration des entreprises est un facteur d’efficacité, encore plus que dans d’autres secteurs. C’est la situation de monopole naturel.

Dans ce cadre, en Fance comme dans d’autres pays ces monopoles naturels ont été laissés à des entreprises publiques, contrôlées, en particulier au niveau des prix afin que ceux-ci ne soient pas trop élevés. Ces monopoles étaient les seuls autorisés à fournir ces services. Ces monopoles avaient des comptes globalement équilibrés. Cependant, certaines activités pouvaient être financées par d’autres, avec des missions de service public. Ainsi, pour France Telecom l’abonnement était peu cher afin que chacun ait accès au téléphone et était financé en particulier par l’international.

Un mouvement de libéralisation, sous l’impulsion de l’UE est en marche depuis 1990 environ. Il est reproché à ces monopoles de ne pas être incités à donner leurs vrais coûts, ni à se moderniser, étant donné qu’ils ne risquent ni la faillite ni la concurrence. L’objectif recherché est une diminution du prix des services, et un fonctionnement au niveau européen et non plus national. Pour cela tous les opérateurs doivent avoir le droit de mettre en place les infrastructures, ou bien vendre les services, l’interconnexion doit être possible. Les circuits de commercialisation sont considérés comme ne relevant pas du tout des monopoles naturels et sont du ressort du marché.

Trois difficultés doivent être surmontées: éviter que se reconstitue un nouveau monopole, s’assurer que les missions de service public sont effectuées, sans la possibilité de subventionner ces activitées par les activitées plus rentables, et prendre en compte les contraintes techniques des monopoles naturels. En effet, il n’est pas possible de financer les activités non rentables par les activités rentables car dans ce cas des nouveaux entrants pourraient proposer les mêmes activités moins cher, n’ayant pas de mission de service public. Il faut donc continuer à subventionner ces activités, cette fois ci, à part, ce qui pose de façon accrue la question du niveau de subvention.

Afin d’éviter que se reconstitue un monopole une possibilité est de donner une concession renouvellable. Cependant, ceci ne permet pas forcément d’inciter les entreprises à investir suffisament. C’est ce que l’on a vu dans le cas des transports ferroviaires anglais. Les entreprises se sont contentées d’exploiter la ligne et n’ont pas investi ce qui a conduit à une détérioration des conditions de sécurité et même de rentabilité, et l’Etat a du renationaliser (mettre sous tutelle).

Dans le cas de l’électricité, la production (sauf le nucléaire) a été libéralisée, ainsi que la fourniture aux gros clients industriels. Cependant c’est EDF qui est l’unique transporteur, ce qui lui permet d’optimiser la charge des différents sous-réseaux.

Au niveau des télécommunications, l’effet est plutôt positif pour l’instant et les prix ont faiblement baissé. Par contre, dans les transports aériens Air France est toujours quasiment en monopole, sauf que maintenant il n’est plus régulé.

Le fret ferroviaire a été libéralisé mais de toute façon il faudrait des investissements importants pour qu’il soit vraiment rentable. Le transport de voyageur n’a pas été encore remis en cause. En fait le problème du train c’est que de nombreuses lignes ne sont pas rentables mais sont toujours en activité pour des raisons de désenclavement des régions. Par contre, certaines lignes sont hautement rentables (TGV, TER) mais nécéssitent des investissements bien trop importants et longs pour être effectués par des entreprises.


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8.1.3 Biens collectifs


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8.1.3.1 Définition et exemples

Les bien collectifs ou bien publics sont des biens particuliers qui possèdent trois caractéristiques :

En fait, les biens publics purs ne sont pas tellement nombreux. En effet, la consommation obligatoire n’est pas fréquente. La non rivalité n’est en général pas absolue : la musique, l’art, la science, bref l’information est réellement non rivale, par contre de nombreux biens sont non rivaux mais soumis à encombrement, c’est-à-dire que les autres consommateurs ne gènent pas tant qu’ils ne sont pas trop nombreux, mais ensuite empèchent la consommation des autres. C’est le cas des routes, des transports en commun, des piscines, des infrastructures de télécommunication. La justice, l’armée, la sécurité ou l’éducation sont non excludables et de consommation obligatoire mais ils sont soumis à encombrement, sauf si les capacités sont suffisantes. Des biens de consommation courante, tels la voiture ou la machine à laver peuvent être aussi non rivaux soumis à encombrement si on ne les utilise pas au maximum de leurs capacités (ainsi les machines à laver sont mises en commun dans les cités U).

La véritable non excludabilité est également rare (on peut citer l’air) car elle peut fréquemment être mise en place, mais à un coût qui peut être élevé. Par exemple, la musique est à priori non excludable puisque chacun peut la copier. Cependant, par l’action en justice il est toujours possible d’empêcher les copieurs en les menaçant de poursuites judiciaires ceci induisant des coûts de contrôle importants.

Pour les biens non excludables, il faut une subvention sinon ils ne seront pas produit en quantité suffisante étant donné qu’il n’est pas possible de faire payer pour le service. Les biens non rivaux sont également particuliers puisqu’il faudrait qu’ils soient gratuits une fois qu’ils sont produits, sinon ceux qui ont un faible revenu ne pourraient pas en profiter alors qu’ils n’empêchent en rien la consommation des autres. Ceci implique qu’il faudrait en fait rendre non excludables les biens non rivaux, et ne faire payer les biens soumis à encombrement qu’à partir du moment où ils sont saturés.

Les biens publics peuvent être financés par des groupements qui mettent en commun leurs ressources pour produire ce bien. De nombreux phares ont été produits ainsi. Mais c’est souvent l’Etat qui produit ces biens ou au moins les finance. Certains bien publics sont enfin fournis comme des biens normaux.

Un problème similaire à celui des externalités existe : il faut trouver le bon niveau de production. Ceci suppose connu un grand nombre de paramètres très difficiles à mesurer. Le financement ensuite pose problème car on ne peut pas ou bien il ne faut pas faire payer les usagers. Le problème du passager clandestin se pose avec acuité : il est tentant de ne pas contribuer au bien public et d’en profiter ensuite, d’autant plus qu’il est non excludable et non rival. Enfin, lorsque le bien n’est pas homogène il faut choisir quel type de bien produire.

Les routes sont un bien public typique fourni par l’Etat. La police, la justice l’armée ou les pompiers sont également des biens publics encore qu’ils soient rivaux si il n’y a pas suffisament de capacités. Les infrastructures sportives, les MJC ou les bibliothèques sont également des biens publics soumis à encombrement en partie financé par l’Etat et par les cotisations des membres.


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8.1.3.2 Le savoir

Le savoir est un bien public très important. C’est un bien public qui, de plus est accumulable. Il est pour partie disponible dans les bibliothèques. Cependant, sa reproduction est en général interdite, car il est rendu excludable par l’existence de droits d’auteur. Ceci permet de financer les éditeurs qui impriment les livres. C’est dommageable étant donné sa nature de bien non rival et des possibilités d’applications du savoir fondamental. Avec l’internet et les documents électroniques, on peut espérer que le savoir devienne totalement libre, une fois qu’il est publié.

Des difficultés supplémentaires existent pour la recherche fondamentale qui sont l’absence totale de gains de court terme possibles et, au contraire, des gains qui peuvent être énormes à plus tard, le long terme de certains projets et les difficultés d’évaluation du travail des chercheurs étant donné la technicité nécessaire. Pour éviter ces problèmes le système actuel est basé sur une évaluation par les scientifiques eux-mêmes et des postes relativement stables qui permettent d’être certain de pouvoir mener à bien des projets qui n’ont pas d’intérêt immédiat. Les connaissances sont transférées à tous et une organisation particulière permet d’inciter les chercheurs à la découverte lors qu’ils ne peuvent en retirer de profit : cette organisation est basée sur la reconnaissance morale de celui qui trouve le premier des résultats reproductibles par les pairs, ce qui induit une course entre laboratoires et une évaluation par les scientifiques. Cette organisation pose aussi le problème du mandarinat : si un individu arrive à avoir une influence suffisament importante parmi ses pairs, il peut bloquer la reconnaissance de nouveaux travaux.

Ce système est cependant en train d’être mis à mal. Début 2004 ce sont des contrats à durée déterminé qui sont de plus en plus proposés, tandis que le nombre de postes permanents n’augmente quasiment plus. Les crédits de fonctionnement ne sont souvent pas suffisants pour les instituts de recherche, ils doivent être trouvés par le biais de contrats avec l’Etat ou des entreprises (plutôt des entreprises publiques). Ceci a pour conséquence des coûts importants liés au temps passé à la réponse aux appels d’offres, qui ont souvent des objectifs qui peuvent être utiles à court terme, mais dont l’intérêt scientifique peut parfois être douteux. La concurrence entre les laboratoires pour les contrats a aussi pour conséquence la rétention d’informations. En fait on demande maintenant aux chercheurs d’abandonner pour partie la recherche fondamentale et faire plus de recherche appliquée. Ceci peut être problématique à long terme, d’une part au niveau du monde car ce bien public qui est le savoir risque d’être sous produit, et d’autre part au niveau de la France parce que la capacité de comprendre la recherche fondamentale n’existe que si on la fait et les innovations ont besoin de recherche fondamentale. La France vit beaucoup sur le passé (programme nucléaire, aéronautique), les moyens étant en stagnation depuis 1990. Ceci permet une baisse des dépenses pour l’Etat, mais l’ordre de grandeur des besoins de la recherche reste relativement faible. Par exemple, les chercheurs correspondent à 1% des fonctionnaires mais sont concernés par 10% des départs en retraite non compensés. Pour comparaison, la baisse de la TVA sur la restauration permettrait de doubler les effectifs dans les etablissements de recherche (hors universités). La recherche française souffre par ailleurs d’un assez grand nombre d’inefficacités en particulier le cloisonnement des instituts, et le manque de projets d’envergure. Enfin le fait d’avoir un poste à vie ne permet pas d’inciter au travail les individus qui ne trouvent pas de motivation dans le systême (ce problème est d’ailleurs présent pour tous les fonctionnaires).

La recherche appliquée est dans une situation légèrement différente. En effet les connaissances appliquées sont en général rendues excludables par le système de brevets. Ce système, même si il éloigne de l’optimum social en rendant la connaissance payante, à l’intérêt d’inciter les entreprises à faire de la recherche, en leur permettant de tirer profit de leur découverte.

Le privé est dans une situation aussi difficile que le public. En effet, les fonds de pension exigent une rentabilité de court terme accrue, et la recherche privée hors du très court terme a reculé très fortement. Pour le soutien de la recherche privée les perspectives semblent un peu meilleures, des déductions fiscales pouvant être à l’ordre du jour pour inciter les entreprises à faire de la recherche. Et comme on l’a vu la recherche publique fait de plus en plus de recherche appliquée même si elle le fait avec des moyens insuffisants. Mais il n’en reste pas moins que sans partenariat avec la recherche publique la recherche privée est très inefficace, bien plus capable de mise en œuvre des connaissances fondamentales, mais incapable de les produire. Une part de recherche appliquée de plus en plus importante est effectuée dans le public, mais il ne faudrait pas qu’elle prenne la place de la recherche fondamentale.

Aux Etats Unis la situation est différente, les universités font déjà de la recherche appliquée et produisent de nombreux brevets, et les entreprises d’ailleurs se plaignent du prix de ces brevets qui les empêche de profiter de toutes les découvertes. Cependant l’Etat investit toujours beaucoup dans la recherche fondamentale et de nombreux chercheurs formés en France préfèrent aller travailler dans ce pays qui offre des conditions de travail bien moins pénibles.

Deux pays ont profité de façon importante de la vague des nouvelles technologies de l’information et des télécommunications, les Etats-Unis et la Finlande, qui sont pourtant basés sur des modèles sociaux économiques relativement différents. Leur réussite s’explique essentiellement par un investissement important dans la recherche et le soutien de l’Etat.


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8.1.3.3 L’art

L’art, par exemple la musique ou les films sont des biens publics. Le système actuel les rend excludables par le biais des droits d’auteur et surtout des licences des éditeurs. Cette excludabilité peut être justifiée par le fait que le choix de ce qui doit être produit est extrêmement ardu et il est laissé aux marchés. L’Etat intervient tout de même pour subventionner certains projets : si tout l’art est aux mains du marché, ceci peut conduire à une diversité trop faible, toutes les entreprises essayant de produire pour les plus gros marchés.

Cependant, le développement des technologies de l’information et de l’informatique grand public menace cette organisation. En effet, le coût du partage de l’information est devenu très faible, et le peer-to-peer, un système de partage de fichiers se développe de façon importante pour des copies illégales. Tout se passe comme si les consommateurs voulaient profiter collectivement de la non rivalité. L’effet sur le bien-être social de ce phénomène n’est pas évident. D’un côté, il s’accroît puisque les consommateurs peuvent profiter de biens qu’ils n’auraient pas acheté au prix du marché. D’un autre côté se repose la question du financement de ces biens publics. En effet si les consommateurs consomment sans les payer l’offre peut finir par ne plus être rentable et dans l’intervalle, ceux qui n’ont pas internet ou bien achètent CD ou DVD vont payer pour ceux qui téléchargent. Dans le plus long terme le financement de la production de musique et de films peut devenir problématique, de nouvelles solutions devront certainement être trouvées pour le financement de ce bien non-rival si l’on veut permettre une distribution gratuite.


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8.1.3.4 Les logiciels

Les logiciels informatiques sont un autre exemple de biens publics intéressants. Dans les années 80/97 le marché était grossièrement divisé en deux (laissant de côté les Macintoshs). D’un côté les systèmes UNIX issus à l’origine de la recherche publique dont les entreprises productrices de logiciels avaient acquis les droits, et fait des variantes commerciales incompatibles. Ces systèmes très performants tournaient plutôt sur des machines onéreuses et étaient vendus très cher aux entreprises. De l’autre côté, se trouvaient les systèmes d’exploitation DOS puis windows 95/98 commercialisés par Microsoft tournant sur des PC bon marché, des systèmes assez rudimentaires, vendu peu cher. Le vainqueur de cette compétition a été sans conteste le système bon marché. En raison de l’utilisation par le grand public et les petites entreprises de ce système d’exploitation, l’offre de logiciels a été bien plus abondante pour cette plate forme (externalités positives de l’adoption d’une norme). Du coup Microsoft s’est retrouvé en position de monopole et a pu profiter des rentes prélevées sur les consommateurs et de l’offre de logiciels abondante pour déveloper un systême bien plus performant (windows NT) et pénétrer le marché jusque là réservé aux UNIX.

Dans le même temps, un autre système totalement différent s’est développé, le système GNU/linux. Techniquement c’est un système très proche des UNIX. Il diffère cependant radicalement des autres systèmes. En effet la licence d’une grande partie des logiciels de ce système, la GPL, oblige ceux qui distribuent le logiciel à ne pas empêcher une redistribution, gratuite ou payante, ou une modification ultérieure. Au contraire les autres systèmes ne permettent pas à ceux qui ont acheté leurs logiciels de les redistribuer ou les modifier. En fait, la licence GPL permet aux logiciels de ne jamais devenir excludables, au motif qu’ils sont non rivaux d’une part, et donc que chacun doit pouvoir en faire ce qu’il veut, et que d’autre part c’est un bien de club, les utilisateurs en particulier ceux qui possèdent les compétences techniques pouvant contribuer à la construction du bien public.

Ces logiciels ont d’abord été produits au début des années 90 par des passionnés ne pouvant pas acheter les systèmes UNIX, trouvant les autres systèmes peu intéressant techniquement, et ayant envie de faire les choses eux-mêmes. Depuis de nombreux bénévoles puis des entreprises vendant le support physique (CD et manuels), et des services, produisent ce système et aujourd’hui il est devenu compétitif (d’autant plus qu’il est gratuit) et a quasiment remplacé les UNIX qui n’ont pas été évincés par windows NT dans les entreprises. C’est un exemple intéressant de bien public qui n’est pas fourni par l’Etat, et pourtant n’a pas été rendu excludable et est produit d’une façon efficace et relativement performant.


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8.1.4 La correction des défaillances du marché

Tous les cas traités ont des points communs importants. Le premier c’est une difficulté de trouver le bon niveau de production de certains biens et le type de biens alors qu’il n’y a pas de révélation par les prix. Le second c’est de trouver des modes de financement. Et le troisième est que des effets redistributifs importants sont à attendre de la fourniture de ces biens étant donné que le financement doit souvent être fourni par d’autres que ceux qui en profitent et également que ceux qui en profitent ou leurs coûts ne sont pas clairement établis. Dans ce cadre, le rôle de l’Etat est important étant donné qu’il est censé d’une part avoir plus d’information à priori, d’autre part être garant que les effets redistributifs iront dans le bon sens et enfin c’est à l’Etat d’organiser le financement.

Du coup, il est intéressant de voir si dans le cas de ces biens l’Etat est bien cette entité bienveillante. Dans la théorie de la capture de la réglementation, l’Etat est analysé comme composé de personnes ayant des intérêts particuliers utilisant la réglementation pour redistribuer à leurs amis ou électeurs plutôt que pour maximiser le bien-être collectif. Cette théorie est intéressante pour expliquer certains choix pris avec pour justification l’intérêt général. Par exemple des rond points apparaissent sans raison à des endroits isolés. La relance du nucléaire est justifiée par la lutte contre l’effet de serre sans que les baisses d’émission proposées ne soient justifiées, et surtout, alors que les centrales existantes n’ont pas encore été rentabilisées et qu’une augmentation de la demande d’électricité serait plutôt satisfaite par l’utilisation de centrales au gaz.

L’exemple des pots catalytiques est également éclairant, en effet cette norme a été choisie suite à l’insistance de l’Allemagne avec pour objectif de lutter contre les pluies acides parce qu’elles étaient responsables de la mort des forêts. Or il se trouve que les pluies acides ne sont pas les principaux responsables de la mort des forêts (même si elles sont responsables de l’acidification de lacs et de dégradations de bâtiments), et la technologie choisie n’est pas forcément la meilleure. En fait les industriels allemands avaient déjà déposé les brevets alors que les technologies les plus efficaces n’étaient pas tout à fait mûres. Aujourd’hui ces technologies les plus efficaces ont été abandonnées mais le problème est réglé au niveau environnemental.


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8.2 Les services d’intérêt généraux


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8.2.1 Présentation

Traditionnellement les services d’intérêt généraux sont considérés en France comme des services fondamentaux devant être absolument fournis, et dont la fourniture doit être garantie par l’Etat. La définition de ce qui rentre dans ces services est politique et varie avec les lieux et les époques. Aujourd’hui il s’agit d’abord de la défense, la justice, la police, l’action extérieure, la protection civile, ce sont les fonctions régaliennes de l’Etat. Les services dits urbains comprennent l’accès à l’eau, l’assainissement, les déchets, l’entretien de la voirie, les services funéraires. L’accès aux communications services postaux, téléphone, transports. Les activités permettant l’épanouissement personnel tels l’éducation, le sport et la culture sont également des services d’intérêt généraux. On trouve ensuite l’accès à l’énergie, au logement, à la santé. Enfin il y a l’aide sociale et les services permettant d’éviter l’exclusion et d’assurer la cohésion sociale.

Ces services ont déjà été abordé à plusieurs reprises dans des contextes différents, étant donné qu’ils sont aussi parfois des biens de club, associés à des externalités, des biens publics, des monopoles naturels, ou de type assurantiels, ou bien qu’ils ont partie prenante avec la redistribution.

3 principes sous-tendent les services d’intérêt généraux en France: la continuité de service (obligation de fourniture), l’égalité d’accès (désserte universelle) et de traitement (égalité, équité tarifaire). En France l’équité tarifaire est stricte, tous les usagers ont le droit au même tarif.

Cependant ce qui faisait la spécificité du service public à la française c’est l’idée que seul l’Etat est en mesure de fournir ces services d’une façon satisfaisante, il doit faire plus que réglementer, il doit aussi être le fournisseur de ces services. Il peut être producteur en tant qu’administration publique (justice, police), il peut également posséder le capital de l’entreprise qui est indépendante des administrations centrales (la poste, EDF GDF, SNCF), il peut déléguer tout en étant le fournisseur (cas de l’eau) et il y a une exception, le service funéraire qui est privé.

Ces services sont considérés comme étant garants de la cohésion sociale et nationale. C’est particulièrement vrai pour les service régalien, le service postal, les services sociaux, les services bancaires et l’accès au téléphonne. Certains de ces services sont fournis partout gràce à la poste (service postal et bancaires).


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8.2.2 L’évolution des services d’intérêt généraux

L’UE a une vision des services d’intérêt généraux différente, appelé service universel, plutôt d’inspiration anglo-saxonne. Dans cette conception, il importe peu qui fournit le service, et l’égalité tarifaire n’est pas stricte. Le rôle de l’Etat n’est que de faire en sorte que le service soit fourni de façon égalitaire avec un coût abordable et une certaine qualité, peu importe qui est le fournisseur. Dans ce cadre, le fournisseur peut être privé, et il faut une régulation, afin que le service d’intérêt général coéxiste avec le marché. Il peut y avoir des contraintes de qualité, de prix, des subventions, et des concessions de monopole.

Lorsque les services publics sont ouverts à la concurrence, il faut que l’Etat en tant que producteur ne soit pas le régulateur. Il faut donc une instance indépendante de régulation. C’est le cas de l’ART (Agence de Régulation des Télécoms) qui fixe entre autres les tarifs d’interconnexions aux infrastructures de France Telecom.

Cette acception des services d’intérêt généraux est en train de remplacer la notion de service public à la française, avec ouverture à la concurrence et libéralisation des services d’intérêt généraux. En fait les services postaux sont considérés comme tellement importants dans leur dimension de cohésion nationale qu’ils ont été mis en retrait par rapport aux autres services d’intérêt généraux qui sont déjà libéralisés. Les services régaliens sont encore relativement épargnés. Comme on l’a vu les communications et l’énergie sont des services qui sont désormais ouverts à la concurrence. L’enseignement public a toujours coexisté avec l’enseignement privé, de même dans la santé. La recherche ne peut pas vraiment être ouverte à cause de la nature de bien public de cette activité. L’action sociale est également déléguée à des associations (par exemple associations de parents d’handicapés pour gérer les centres, associations s’occupant des réfugiés politiques) subventionnées par l’Etat. Il serait possible de le faire également faire par des entreprises mais les risques de malversations sont plus importants, et les possibilités de changement technique et de gains de productivité sont faibles.

En fait la question est autant d’ordre technique que redistributif. Sous couvert de recherche de l’efficacité au niveau des coûts ou au niveau de la quantité de service à fournir, des intérêts particuliers sont parfois privilégiés. Le secteur hospitalier me semble un bon exemple de ces deux problèmes : d’un côté, dans des zones plutôt rurales en déclin démographique, des structures surdimensionnées sont maintenues alors qu’un désengagement progressif serait sans conséquence sur le service étant donné les surcapacités, parce que les élus locaux et les habitants empêchent cette réallocation. De l’autre, dans des zones plus urbaines et plus pauvres, où le besoin de structures médicales est important l’Etat diminue son offre, pousse à la rentabilité, et à l’utilisation du privé. Ceci n’est pas neutre et induit une moindre qualité de soins pour ceux qui n’ont pas les moyens de payer.


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